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segunda-feira, 24 de agosto de 2015

De l’Espace Public à l’Espace Publicitaire

Tous les marketeurs sont les menteurs. Tant mieux, car les consommateurs adorent qu’on leur raconte des histoires.
Seth Godin  (Gourou du marketing et de la communication d’entreprise ) [1]


Jean-Pierre Garnier
De l’espace public à l’espace publicitaire.
Odysseum à Montpellier
L’Homme et la Société | 2009

À l’époque où la critique de la « société de consommation » était à la mode dans les milieux intellectuels français, il était courant parmi les gens, qui, pour une raison (professionnelle) ou une autre (politique), observaient avec attention l’évolution du phénomène urbain, de jeter un regard à la fois consterné et méprisant sur les vastes zones commerciales qui avaient commencé à se développer sur le pourtour des agglomérations. Perçues comme les symboles affligeants du triomphe de la rationalité marchande, il leur était reproché de concourir à une « urbanisation désurbanisée [2] », c’est-à-dire privée d’urbanité, qui faisait perdre à la ville sa qualité d’« œuvre », pour la rabaisser au rang de « produit ». Bref, l’« antiville » par excellence.

Pourtant, une trentaine d’années plus tard, des sociologues français épris de « post-modernité », fascinés par le succès populaire des complexes commerciaux implantés dans ce que l’on appelait jadis la « banlieue » et maintenant le « périurbain », et surtout fortement influencés, semble-t-il, par les vents idéologiques nouveaux soufflant d’outre-Atlantique, croient déceler dans ces « shoppings malls » à la française autour desquels viennent s’agréger divers équipements de loisirs (cinémas, restaurants, bowlings, night-clubs...), les signes annonciateurs d’une centralité urbaine inédite [3]. À tel point que l’un de ces spécialistes, pour souligner l’importance culturelle d’une évolution qui remettait en cause la vieille dichotomie sociologique sinon géographique entre centre-ville et périphérie, n’a pas hésité à parler à ce propos de « ville émergente » [4]. Bien que scientifiquement peu contrôlée, cette appellation fut rapidement érigée en concept… au sens publicitaire du terme. Il faut dire que le contexte socio-historique français, marqué par la victoire idéologique et politique du néo-libéralisme, s’y prêtait. Alors que les quelques « villes nouvelles » édifiées à grands frais en France sous l’impulsion de l’État et de sa technocratie ne parvenaient pas encore, 20 ou 30 ans plus tard, à mériter véritablement le nom de « villes », tant aux yeux de leurs habitants que de leurs visiteurs, voilà que, sous l’effet du libre jeu des lois du marché et des initiatives non coordonnées des acteurs privés, une vie urbaine d’un style nouveau était en train d’éclore « à l’insu des décideurs institutionnels » [5], c’est-à-dire des pouvoirs publics.

Que de chemin parcouru ! Oubliée la dénonciation de l’« anarchie urbanistique » dont participe l’essaimage à la lisière des villes de ces méga-centres commerciaux avec leurs immenses parkings, implantés en fonction de critères définis à partir des « aires de chalandise » escomptées. Autrement dit, de préoccupations étroitement mercantiles. Oubliées, également, les diatribes contre cette « non-architecture » de « grandes surfaces », de « magasins-hangars » et de « boîtes à chaussures » auxquels s’agrègent les « moyennes surfaces » de l’ameublement, de l’habillement et du jardinage, les fast-foods, et les stations-service, qui uniformise en le défigurant le paysage urbain des entrées de villes. Oubliée l’ironie suscitée par cette foule d’individus errant comme des zombies ravis et hébétés derrière leurs caddies au milieu de cette « gigantesque accumulation de marchandises », comme aurait dit Marx, qui réduit les « suburbains » au statut de consommateurs.


Quitte à se voir soupçonné d’élitisme ou accusé de professer un radicalisme critique périmé, on pourrait être tenté, malgré tout, de se demander si les chercheurs concernés ne serviraient pas, consciemment ou non, de caution ou de boîtes à idées aux promoteurs de shopping centers. Et cela d’autant plus qu’il n’est pas rare aux États-Unis, mais aussi en France, de voir ces derniers faire appel à des anthropologues ou des sociologues pour observer les comportements des consommateurs dans les galeries marchandes, les atriums et autres piazzas, analyser l’impact de l’« environnement » et des « ambiances » sur l’acte d’achat, certains chercheurs allant même jusqu’à officier comme « consultants » pour suggérer quelques innovations destinées à accroître l’attractivité de ces nouveaux « lieux urbains ».

Quoi qu’il en soit, le succès incontesté — et désormais incontestable — de ces temples marchands auprès de la population vaut désormais absolution. L’affluence qu’ils suscitent, l’animation qui y règne, le plaisir qu’éprouvent leurs habitués à les fréquenter seraient la preuve incontestable qu’ils correspondent à ce que réclame le peuple. Dès lors, ce qui était dénigré hier comme un « non-lieu » typique du règne de l’individualisme consumériste sera réhabilité. Sous prétexte qu’« on y déambule, qu’on y flâne, qu’on y attend, qu’on s’y rencontre ou qu’on y bavarde comme dans n’importe quel autre lieu animé de la ville », il sera célébré comme un nouveau haut lieu de l’« urbanité contemporaine », à la grande satisfaction des commerçants et des publicitaires [6]. Une vision quelque peu irénique qu’un écrivain étatsunien à l’esprit caustique qualifiera de « populisme de marché » [7].

Il a paru intéressant, dans ces conditions, d’étudier la gestation hors du centre-ville traditionnel d’un autre type — ou supposé tel — de centralité urbaine à l’initiative et sous le contrôle, cette fois-ci, des pouvoirs publics : Odysseum à Montpellier. Certes, au vu de ses formes urbanistiques et architecturales, de son contenu programmatique et ses modalités de réalisation, cet « espace public inédit » ne paraît pas très différent de ce que l’on peut déjà voir ailleurs en France et, surtout, à l’étranger, contrairement de ce que cherchent à faire accroire les édiles montpelliérains. En revanche, la rhétorique performative qu’ils mettent en œuvre depuis une dizaine d’années à l’aide de tous les artefacts disponibles en matière de « communication » pour mobiliser la population locale autour du projet et l’impliquer dans sa réussite va bien au-delà des stratégies et des méthodes habituelles de marketing en usage parmi les promoteurs privés de centres commerciaux. À tel point que, lorsque l’on « parle » à Montpellier d’Odysseum, on ne sait pas trop s’il s’agit de l’espace réel construit sous ce nom ou bien de la (re)construction narrative dont il fait simultanément l’objet de la part de la municipalité ou de la Communauté d’Agglomération [8], et de leurs conseillers en publicité.

Cette difficulté à démêler ce qui renvoie aux caractéristiques concrètes de l’Odysseum, de ce qui est diffusé et infusé par les instances publiques locales à son propos dans l’imaginaire des usagers actuels ou potentiels, laisse quelque peu perplexe. L’identification d’un espace à vocation principalement commerciale à un espace public, et son aptitude à incarner une centralité urbaine nouvelle tiendraient-elles moins, de nos jours, à sa configuration matérielle et aux activités qui y prennent place qu’aux récits officiels plaqués sur lui pour assurer sa promotion ? Les habitants qui le fréquentent sont-ils encore en mesure de le « vivre », c’est-à-dire de le pratiquer et de se le représenter, de manière autonome, ou leurs perceptions et leurs conduites ne sont-elles pas devenues largement tributaires des histoires pour ne pas dire des mythes répandus pour organiser leur expérience urbaine ? N’y aura-t-il bientôt plus, en fin de compte, dans l’esprit de citadins subjugués par des fictions préférées à la réalité, d’autre espace public qu’un espace publicitaire ? Car comment dénommer autrement ce complexe soi-disant ludique installé à grands frais en périphérie [9] où, du fait de la mise en récit et en scène des possibilités qu’il est censé « offrir », chacun sera persuadé de pouvoir se comporter en acteur libre de « zapper » d’un « espace de consommation-plaisir » à un autre sans voir le contexte cadré qui ne fera que le confirmer — et le conformer — davantage dans son statut et sa fonction de consommateur.



UNE CENTRALITÉ URBAINE PROGRAMMÉE 
 
Si l’on en croit les publications destinées à la population locale émanant de la mairie de Montpellier ou de la Communauté d’agglomération, la création de ce « centre ludico-commercial » [10], dont une partie a déjà été construite et ouverte au public, sur un territoire alors non encore urbanisé obéirait en premier lieu à des finalités urbanistiques et culturelles, donc distinctes de celles qui président d’ordinaire à l’apparition des centres commerciaux périphériques. À la différence de ces derniers, ce nouveau lieu public, localisé à l’est de l’agglomération existante pour rééquilibrer son développement à venir en direction de la mer, ne serait pas fréquenté par des consommateurs passifs et aliénés uniquement motivés par la nécessité ou la pulsion d’achat, mais des « visiteurs » d’abord « en quête de découverte, de fête et de convivialité urbaine ».

Pour peu que l’on y regarde de près, cependant, que ce soit en consultant des documents non rendus publics, en interrogeant certains responsables de l’opération ou gestionnaires d’équipements, ou, simplement, en se promenant sur le site, l’impression est tout autre. Présenté par la municipalité et ses chargés de « communication » comme un projet urbain dont les composantes commerciales ne seraient que des moyens pour atteindre des fins autres que mercantiles, l’Odysseum ressemble plutôt à un dispositif, à la fois matériel et idéologique, où la place et le rôle impartis au « ludique » apparaissent surdéterminés par une logique strictement marchande. « Un centre commercial habillé en zone de loisirs », titrait un quotidien national alors que les trois des premiers équipements « ludiques » étaient sortis de terre [11]. On viendra peut-être, en effet, dans cet endroit « par plaisir et non plus par obligation », mais sa « visite » s’annonce au moins aussi dispendieuse que les courses dans les grandes surfaces de n’importe quelle périphérie. Sous couvert de ne plus considérer les gens comme de simples consommateurs, mais comme des citadins à part entière, de faire perdre à l’acte d’achat son caractère prosaïque en nimbant l’environnement où il s’effectue d’une aura « magique », on ne fait que tester de nouvelles voies pour « fidéliser le client ». Autrement dit, cet « espace public inédit » est destiné, avant tout, à fonctionner comme un espace publicitaire au profit des promoteurs immobiliers et des « enseignes » [12] déjà présents ou susceptibles de s’installer sur le site, voire pour la ville de Montpellier elle-même, à qui il apporterait une « image de marque » voulue originale afin d’améliorer, comme disent les experts en marketing urbain, son « positionnement sur le marché français des métropoles ».

Pour savoir en quoi consiste et à quoi doit servir Odysseum selon la vision officielle des acteurs publics, on peut prendre pour point de départ la définition qu’en donnait l’initiateur du projet, l’ancien maire de Montpellier, aujourd’hui président de la Communauté d’agglomération montpelliéraine et, également, de la région Languedoc-Roussillon. Odysseum, selon Georges Frêche, est « un vaste espace public à vocation ludique et marchande, complément naturel au XXIe siècle du vieil Écusson — surnom du centre historique de Montpellier —, conçu pour permettre le développement harmonieux de Montpellier et de son agglomération » [13]. Prenant place dans le Schéma d’Organisation et de Cohérence Territorial [14] approuvé par la suite, dont il constitue l’un des éléments majeurs, l’Odysseum est censé, en effet, contribuer à réorienter l’extension future de la métropole montpelliéraine.

En rupture avec la structure radioconcentrique qui la caractérisait jusqu’ici, l’expansion spatiale de l’agglomération serait désormais canalisée en priorité « vers la mer » — dont Montpellier est distante de 7 km — selon un schéma linéaire, le long d’un axe nord-ouest/sud- matérialisé par la première ligne de tram dont l’Oysseum constitue l’un des terminus. En mettant en relation directe, grâce à ce moyen de transport collectif « rapide et sécurisé », les principales fonctions de la ville et les nouvelles zones à urbaniser sous une forme « compacte », les autorités municipales affirment vouloir freiner [15], à défaut d’y mettre fin, un étalement urbain à base de lotissements de maisons individuelles qui a tendance à s’effectuer principalement au nord de la ville, jusqu’à 20 ou 30 km à la ronde. Outre le gaspillage en terrains, l’accroissement de la circulation automobile et l’engorgement du centre-ville qu’il provoque, ce mode d’urbanisation fait peu à peu disparaître les terres agricoles subsistantes et surtout les « garrigues », espaces naturels végétaux dont la préservation est considérée par la municipalité et les experts en protection de l’environnement — mais non par les maires des communes concernées, qui ont refusé d’intégrer la Communauté d’agglomération — comme un impératif écologique.

Implanté à 6 km de l’actuel centre-ville dont il ne serait que « l’extension logique », l’Odysseum est situé, comme on l’a signalé, à l’une des extrémités de la première ligne de tramway, terminus provisoire puisque la ligne sera bientôt prolongée d’une station supplémentaire pour desservir le cœur de l’Odysseum, à savoir, comme il fallait s’y attendre, un « Village commercial ». Ce moyen de transport collectif relie directement le centre ludico-commercial aux autres points forts de la ville : le grand ensemble de logements sociaux (25 000 habitants) de la Paillade situé à l’autre bout de la ligne dans la partie occidentale du territoire communal, à 8 km du centre-ville ; la principale zone hospitalo-universitaire ; le siège du Conseil général [16] ; le Corum, imposant bâtiment regroupant le palais des congrès et un nouvel opéra ; la Place de la Comédie et ses alentours, épicentre traditionnel de la vie urbaine montpelliéraine ; le Polygone, centre commercial de facture « moderne » construit dans le prolongement de cette place sous l’égide de la municipalité précédente ; le pôle multimodal des gares, ferroviaire et routière ; Antigone, ensemble monumental de style « néoclassique » — « mussolinien » ou « stalinien », disent ses détracteurs — de logements, d’équipements « haut de gamme » (siège du conseil régional, piscine olympique, médiathèque centrale…), de bureaux, de cafés-restaurants et d’espaces publics spectaculaires [17] ; les nouveaux quartiers d’habitation récemment construits de part et d’autre des rives du Lez, un petit fleuve qui se traîne vers la mer à l’est de l’agglomération, et, enfin, faisant le lien avec l’Odyssseum, ceux de Port Marianne et au-delà, une série d’opérations d’aménagement urbain de grande ampleur (600 hectares de superficie) en cours de réalisation, prévues pour accueillir environ 40 000 habitants sur les 115 000 supplémentaires prévus d’ici 2015 sur l’agglomération, ainsi que des équipements collectifs et des bâtiments publics importants (Cité universitaire, nouvelle mairie, parc métropolitain, centre d’art contemporain…). [18]

Comme à son habitude, le maire voyait grand. En plus de sa fonction de centre urbain à l’échelle de la métropole, Odysseum devait intégrer la vocation régionale voire supra-régionale de celle-ci. Grâce à la proximité de l’aéroport, d’un échangeur autoroutier captant les flux d’automobilistes venant du nord de la France, d’Espagne et d’Italie, et d’une future gare de TGV [19], ce « complexe de loisirs unique sur le pourtour méditerranéen » était appelé à « rayonner non seulement sur les 600 000 habitants futurs de l’agglomération, et les 500 000 estivants des plages voisines, mais aussi sur le losange Lyon, Nice, Toulouse, Barcelone ». Or, si l’on n’entend plus guère parler de ce « losange » depuis quelque temps, la capacité d’attraction d’Odysseum ayant été revue, avec réalisme, un peu à la baisse, il reste que, tant par le nombre et par la nature des équipements rassemblés, que par l’aménagement des espaces publics destinés à les mettre en valeur, ce « monde de loisirs et sensations aux portes de la Méditerranée », pour reprendre l’un des multiples slogans martelés pour assurer sa promotion, vise un potentiel de « visiteurs » chiffré à plusieurs centaines de milliers.

Le programme est effectivement à la hauteur des ambitions : 150.000 m² de surfaces hors œuvre dont 90.000 m2 pour le commerce, ramenées provisoirement à 60.000 m² en raison de l’opposition farouche de la Chambre de commerce et des associations de commerçants du centre-ville qui redoutaient la concurrence d’Odysseum [20]. Comme l’exige sa double fonction, la programmation se décompose en un « pôle ludique » et un « pôle commercial ». Au premier correspond une série d’installations consacrées à la détente et à la distraction : multiplexe cinématographique, patinoire à double piste dont une « ludique » avec mur d’images, sonorisation musicale et D’J pour l’animation, planétarium, aquarium « océanique », complexe aquatique de remise en forme, palais de la danse, complexe bowling-karting, wake shake (vague artificielle dans un espace couvert pour surfer), mur d’escalade, lieux de restauration « à thèmes », etc. Ces équipements devaient servir de « locomotives » au « pôle commercial ». Celui-ci prendra la forme d’un ensemble « intégré et paysagé » où coexisteront un hypermarché, une douzaine de moyennes surfaces spécialisées et plus d’une centaine de boutiques. Regroupées dans un « Village commercial », elles seront « organisées autour d’un espace végétal et d’un plan d’eau, et desservies par des rues semi couvertes. Contrairement aux mails artificialisés des années 1980, le village commercial ne sera pas climatisé, l’air naturel circulant depuis l’eau et les espaces verts qui l’entourent » [21]. Le tout sera « ordonné selon une composition scénographique » qui donnera la priorité à la « valorisation de l’espace public », car, précisait l’adjoint à l’urbanisme inspirateur du projet, « les gens, demain, ne viendront plus seulement dans les centres commerciaux pour acheter, mais pour voir » [22].

Cette présentation, sur laquelle on reviendra plus loin, fait apparemment la part belle au « public » : intervention publique, équipements publics, transport public, espaces publics… Néanmoins, l’accent mis sur le caractère public de l’opération, pour la distinguer des centres commerciaux classiques, ne doit pas leurrer. Il ne sert qu’à masquer la prédominance des intérêts privés qu’Odysseum se doit de servir sous peine de faire perdre au projet ses conditions de possibilité sinon sa raison d’être. Dès le départ, celui-ci a été élaboré en « partenariat » avec des investisseurs et des promoteurs privés. La part des collectivités locales dans le coût total de l’opération ne dépasserait pas 10%, et c’est à deux sociétés immobilières privées [23] — l’une est également chargée de l’extension d’Eurodisney en région parisienne —, qu’ont été confiées la conception, la réalisation et la promotion du pôle commercial (montant de l’investissement 5 M d’€). Et si la proportion des surfaces affectées aux magasins et aux boutiques a été temporairement réduite par rapport au programme initial, elle représente plus des deux tiers de la surface de l’ensemble si l’on y inclue les restaurants et les cafés, ainsi que deux « moyennes surfaces », l’une d’ameublement (Ikea) et l’autre d’équipements sportifs (Décathlon) situées en dehors du « village commercial ».

Pourtant, si l’on s’en tient aux discours de la municipalité adressés au public, l’Odysseum est bien autre chose qu’une sorte de centre commercial « disneylandisé », parachuté et isolé dans un no man’s land à l’écart de la ville avant que ne viennent s’agglutiner tout autour dans le désordre des « résidences » [24] qu’il aura vite fait de satelliser. Il constituerait, comme on l’a signalé, l’une des composantes-clefs d’un projet global d’aménagement urbain, mais aussi, plus largement, d’un « projet de ville » pensé et mis en œuvre à l’initiative et sous l’autorité des pouvoirs publics locaux. Dans ce projet, en effet, l’urbanisme et l’architecture jouent un rôle essentiel, mais celui-ci ne pourrait être compris qu’en l’articulant à d’autres dimensions de la politique urbaine menée à Montpellier.

S’il fallait résumer la stratégie globale revendiquée par la municipalité visant à promouvoir la ville comme « métropole », on pourrait dire qu’elle obéit aux quatre commandements suivants :

Une ville doit se construire une dynamique économique, c’est-à-dire une logique de développement en prise avec les « mutations technologiques » du système productif. Autrement dit prendre appui sur une synergie de type « technopolitain », combinant l’enseignement supérieur, la recherche et les activités de pointe. Soit, des grandes écoles ou des départements universitaires « ouverts sur le monde de l’entreprise », des laboratoires et centres de recherche, et des industries et services « high-tech ».
 

Une ville doit se redonner une forme physique, en d’autres termes se livrer à un « body-building » urbanistique et architectural pour adapter le cadre de vie à la vie de cadre menée par le type de population attendue (ingénieurs, chercheurs, universitaires, travailleurs de la « communication », etc.), c’est-à-dire des actifs scolairement dotés, aux revenus « confortables », et exigeants en matière d’habitat. 

Une ville doit se trouver un « look », c’est-à-dire se forger une image personnalisée, innovante et attrayante, une nouvelle identité à laquelle les habitants pourront s’identifier et qui permettra aux étrangers de l’identifier. Et tout part de la culture et des loisirs. Opéras, musées, médiathèques, palais des congrès, parcs d’attractions, expositions et salons, festivals et festivités y pourvoiront. 


Une ville, enfin, doit se faire un nom, en clair, un renom grâce à la « communication ». Et tout est affaire de mise en discours. On aura reconnu dans ces préceptes quelques uns des ingrédients obligés du marketing auquel doivent avoir recours les élus locaux pour « vendre » leur ville, dans une période où, dans le champ urbain comme ailleurs, la concurrence, « libre et non faussée », fait rage. De ce point de vue, l’Odysseum jouerait en quelque sorte le rôle de « produit d’appel » [25] : sa notoriété en tant que « pôle d’excellence » en termes d’urbanité novatrice rejaillirait sur l’ensemble de l’agglomération, rendue ainsi plus attractive dans sa globalité. Reste à savoir si l’originalité et la spécificité postulées de ce « produit » suffiront à le rendre « compétitif ». Et, plus précisément, si l’argument publicitaire qu’il peut constituer pour la ville à qui il servira d’emblème réside dans ses qualités propres ou dans ce qui en est conté. [26]





DU PRODUIT AU RÉCIT

À lire l’ouvrage que deux géographes urbains montpelliérains consacrent à l’affirmation progressive de Montpellier comme « métropole méditerranéenne », la ville, malgré de multiples emprunts à une « modernité » qu’ils qualifient, un peu vite, « de bon aloi », ne se serait pas « offerte aux arcanes d’une mondialisation qui refuserait toute identification et toute référence au local » [27]. Pourtant, telle qu’elle se concrétise à Montpellier, la « vision moderne d’une ville de plus en plus tournée vers le divertissement et les loisirs [28] », dont l’Odysseum serait le symbole et le parachèvement, ne se distingue guère de celle qui a cours parmi les élus locaux d’autres villes, françaises ou étrangères, soucieux de les adapter, pour ne pas dire les conformer, aux besoins du capitalisme « globalisé ». Les deux auteurs reconnaissent eux-mêmes, d’ailleurs, que les « ambiances volontiers qualifiées de méditerranéennes » dans les discours du maire de Montpellier ne sont pas sans évoquer, une fois transcrites sur les panneaux et les brochures publicitaires, les « entertainment centers de Londres, Toronto, Singapour ou Miami » [29]. De fait, c’est à la Floride ou encore à la Californie, que fait irrésistiblement penser le décor urbain qui se met en place à l’Odysseum : côtoiement de bâtiments aux styles contrastés « post-modernes » et « futuristes », couleurs vives sinon criardes de certaines façades tranchant sur la dominante pastel des autres édifices, profusion de palmiers paraissant plus posés que plantés sur le sol artificiel… Les illustrations des prospectus et des numéros spéciaux de journaux consacrés à la promotion du nouveau complexe, de même que les dessins, les planches et les maquettes des architectes, confirment cette impression : ce qui est montré emprunte largement aux shopping malls édifiés dans les edge cities qui fleurissent sur les franges de la suburbia nord-américaine.

En France même, on ne peut manquer de songer, surtout, même si celui-ci ne peut rivaliser avec lui sur le plan du gigantisme et de la démesure, à l’immense centre commercial de Val d’Europe localisé au cœur de ce qu’il faut bien appeler Disneyland, au sens propre du terme. Ce territoire qui correspondait à l’emplacement prévu pour la dernière tranche de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, à l’est de Paris, inscrite dans le SDAURP de 1965 [30], a été, en effet, concédé par la puissance publique à l’empire Disney qui l’a bel et bien colonisé. Aux abords des deux parcs d’attractions (Magic kingdom et Walt Disney studios) du Paris Disney Resort, non loin du mall de commerces et de divertissements du Disney village et des complexes hôteliers aménagés en bordure du lac artificiel aménagé pour donner une touche écologique à l’ensemble et en rehausser l’attrait, s’est bâtie une véritable « Ville Disney », polarisée par le néo-centre urbain de Val d’Europe. À l’affût d’investissements immobiliers et de manne fiscale, les élus locaux des communes voisines se sont empressés de donner carte blanche aux promoteurs pour implanter des unités résidentielles « thématisées » dont la typologie inspirées d’un « new urbanism » plus nostalgique et passéiste que novateur, en dépit de son intitulé, est la marque de fabrique architecturale de la firme Disney [31].

On l’aura compris : le modèle « innovant » de centralité périphérique ludo-commerciale que matérialiserait Odysseum n’est que l’une des multiples copies dont l’original se trouve aux Etats-Unis. Les aménageurs et les ingénieurs de la Société d’Équipement de la Région de Montpellier (SERM), responsable de la maîtrise d’ouvrage du projet, avaient effectué au préalable plusieurs voyages, en particulier outre-atlantique, pour étudier les complexes de loisirs et de commerces qui rencontraient le plus de succès. L’un d’entre eux, en particulier, les aidera à trouver « un concept qui colle à la civilisation des loisirs dans laquelle nous entrons », selon le directeur de la SERM : Coco Walk à Miami, dont Odysseum serait une réplique « méditerranéenne » [32]. Et c’est à un cabinet canadien, Design International, qui avait réalisé plusieurs de ces complexes, que la municipalité de Montpellier confiera la mission de concevoir le plan d’ensemble initial de l’Odysseum. Un choix audacieux pour un centre urbain dont la modernité, en phase avec la mondialisation, n’exclurait pas pour autant « toute identification et toute référence au local » : les architectes, paysagistes et graphistes de cette agence avaient déjà dessiné la Pleasure Island de Disneyworld en Floride !

Il est donc évident que l’on ne saurait, sur ce point comme sur bien d’autres, prendre au pied de la lettre et au sérieux les envolées à la gloire d’Odysseum dont la mairie et la Communauté d’Agglomération gratifient régulièrement les habitants de Montpellier ou les touristes. D’un discours à l’autre, le chiffre des « visiteurs » attendus ne cesse de fluctuer, même s’il reste toujours mirifique, et certains équipements initialement annoncés (un « palais de la danse », un « roller dôme » pour les adeptes du patinage à roulettes sportif ou acrobatique, un restaurant « sur le thème de l’aventure africaine ou australienne »…) disparaissent ensuite de la liste sans qu’aucune explication ne soit donnée. D’autres, lancés à grand bruit, ferment leurs portes peu après dans la plus grande discrétion, tel le Pavillon Royal, un music-hall qui renouait avec la tradition du repas-spectacle, placé en liquidation judiciaire trois mois après son inauguration. Cela dit, à en rester à la dénonciation ironique de l’écart entre les promesses et la réalité, on risque de ne pas remarquer, dans cet écart, l’effet et l’illustration d’une stratégie de « communication » de plus en plus répandue aujourd’hui dans de nombreux domaines, mais que le maire de Montpellier et ses collaborateurs furent les premiers et longtemps les seuls en France à appliquer de manière systématique pour populariser leurs choix urbanistiques et architecturaux.

Cette stratégie consiste purement et simplement à « créer la réalité » à partir de fictions qui viennent combler le vide laissé par la fin des « grands récits », c’est-à-dire, pour être clair, l’évanouissement des idéaux progressistes d’émancipation collective. À des degrés et des rythmes variables selon les pays, l’effondrement des utopies de transformation sociale et la longue suite de déconvenues politiques ont provoqué un désenchantement général dans l’imaginaire populaire. Pour le plus grand nombre, la dégradation continuelle des conditions d’existence, la longue suite des espoirs déçus et des défaites subies et, pour couronner le tout, la prise de conscience d’une dévastation écologique générale qu’aucun « développement durable » ne semble devoir entraver, ont mis fin à la vision optimiste de l’avenir qui avait prévalu durant des décennies, y compris parmi les démunis. De plus en plus incertain, le futur apparaît au contraire inquiétant voire angoissant. D’où, pour ne pas céder complètement à l’abattement, une propension névrotique à se rabattre sur le présent.

C’est ce temps devenu immobile faute de perspectives crédibles de changement positif, que les pouvoirs publics et les puissances privées ont entrepris de réenchanter à tout prix. Car rien ne garantit, pour les dominants, que le découragement et la résignation des dominés durent éternellement. La révolte peut ressurgir de façon inopinée, d’autant plus violente qu’elle est désormais privée d’horizon d’attente. Ainsi, la « grande Histoire » dotée d’un « sens », c’est-à-dire à la fois une direction et une signification fondées sur l’espérance — ou le pari — de l’avènement d’un monde meilleur, sinon du meilleur des mondes, a-t-elle fait place aux « petites histoires » réconfortantes et édifiantes diffusées en « temps réel » par des professionnels de l’affabulation, en faisant appel aux technologies de l’information et de la communication les plus performantes.

Conceptualisée et mise en œuvre sous le néologisme de « storytelling » à partir du début des années 90 du siècle dernier aux États-Unis, la narration comme technique de gestion et de contrôle s’est rapidement diffusée de par le monde « développé » ou en voie de l’être. Elle est employée non seulement dans le marketing et le management d’entreprise, mais aussi dans la propagande politique, la mise en condition de l’« opinion publique » lorsqu’il s’agit de défendre par les armes l’ordre capitaliste et même la préparation des combattants à la guerre (soldats, policiers, mercenaires) contre les ennemis de l’extérieur ou de l’intérieur [33]. Étayé sur des procédés de plus en plus sophistiqués de simulation/stimulation sensorielle, notamment, électroniques et audio-visuels, le récit en tant que moyen de mise en condition idéologique et psychologique consiste à immerger l’individu dans un univers thématisé et scénarisé, (ré)inventé de toutes pièces, en prise directe sur son imaginaire, ses affects et ses émotions, afin de le priver de toute aptitude au raisonnement rationnel et ajuster ainsi ses désirs, ses réactions et ses comportements aux objectifs poursuivis : vendre, mobiliser, inculquer, entraîner….

Sans doute les mises en scènes auxquelles elle donne lieu peuvent-elles paraître parfois burlesques voire franchement grotesques, pour peu qu’on les soumette à la rationalité critique. Mais on aurait tort de ne pas prendre au sérieux le principe d’action qui les inspire puisqu’il vise ni plus ni moins qu’à annihiler cette rationalité en la paralysant ou en la court-circuitant. Sous ses dehors plaisants, cette « machine à fabriquer des histoires » ne fait pas autre chose que « formater les esprits » [34]. Dans le cas de la « disneylandisation » de certains secteurs urbains ou de villes entières, elle risque de rendre inopérantes sinon caduques les déplorations sur « la fin des espaces publics » [35], puisque ceux-ci ne seraient plus identifiés, une fois le processus parvenu à son terme, qu’aux espaces publicitaires devenus la seule réalité de référence grâce à la « magie du récit » accompagnant leur promotion. À cet égard, la fabulation qui accompagne Odysseum depuis que le nom de baptême du projet fut publiquement dévoilé, au cours de l’été de 1998, constitue un modèle du genre.

Ce nom, on s’en doute, ne fut pas choisi au hasard, et sa divulgation orchestrée avec soin constitua en quelque sorte le coup d’envoi du récit. Avec l’indéniable sens pédagogique dont il avait déjà fait montre lors du lancement du quartier Antigone [36], puis du Corum, palais des congrès et opéra fusionnés en un seul bâtiment [37], le maire de Montpellier, secondé par son staff de concepteurs — dans la novlangue publicitaire devenue de rigueur, y compris en architecture, Odysseum est d’abord un « concept » — s’employa à faire savoir à ses administrés, en utilisant toutes les ressources de la panoplie médiatique, pourquoi cette appellation avait été choisie.

On ne sera pas étonné d’apprendre que c’est « en référence à l’Odyssée d’Ulysse, parce que c’est à une véritable aventure que nous convions les visiteurs, et aussi pour réaffirmer l’attachement de Montpellier à sa situation de ville de la Méditerranée » [38]. Néanmoins, pour une « métropole tournée vers l’avenir », cette incursion sémantique ne pouvait se limiter à une plongée dans le passé. De fait, « l’Odysseum, c’est aussi une référence à l’Odyssée de l’espace, à la grande aventure du futur, à la technologie » [39]. Le choix de ce nom était donc « judicieux », comme le maire et ses adjoints à l’urbanisme ou à la culture se plaisaient à le souligner. Ne permet-il pas de jongler avec le temps et l’espace ? « De culture profondément méditerranéenne, Montpellier n’oublie pas ses racines, ses traditions, et son histoire, tout en s’engageant passionnément dans le XXIe siècle », claironnait ainsi G. Frêche à un journaliste parisien. Emporté par son élan, il ajoutait : « Montpellier, d’un seul coup, va sauter vingt-six siècles. On passe de la Grèce antique à Los Angeles ! [40] » Et le maire de se féliciter, une fois de plus, de ce terme qui renvoie « au monde grec, aux exploits d’Ulysse, avec une terminaison romaine [sic] [41], mais aussi à 2001 : l’Odyssée de l’espace, à Bruce Willis à Schwarzenegger, et donc à la jeunesse du monde [re-sic] ».

Ce que le maire aurait pu ajouter, pour enrichir encore le voyage imaginaire auquel il conviait ceux qui l’écoutaient, c’est que Odysseum avec sa « terminaison romaine », évoquait également le Colisée. Ce rapprochement avec le gigantesque amphithéâtre édifié Rome sur l’ordre de l’empereur Vespasien ne saurait surprendre étant donnée la mégalomanie devenue légendaire du premier magistrat de la ville de Montpellier. Le gros titre qui figurait dans le quotidien local, au lendemain de l’inauguration du chantier par le maire, truelle à la main, était éloquent : « Odysseum : les nouveaux travaux d’Hercule-Frêche » [42].

En fait, par-delà la personnalité de G. Frêche et aussi la propension séculaire des « méridionaux », c’est-à-dire des habitants du sud de la France, à l’exagération, il faut savoir que l’enflure discursive aux dépens de la véracité des faits compte parmi les procédés rhétoriques inhérents au storytelling : peu importe que l’histoire racontée aux gens soit éloignée de la vérité voire carrément mensongère, pourvu qu’elle soit assez captivante pour les dissuader se demander si elle est fausse ou vraie. C’est pourquoi la pléiade d’universitaires dont s’entoure le maire pour le conseiller, mais aussi pour en faire les avocats ou les hérauts de sa politique, n’est pas la dernière à faire chorus avec lui pour forcer le trait voire la vérité, et bluffer leurs auditeurs ou leurs lecteurs, quitte à en prendre à leur aise avec la rigueur intellectuelle qu’exige par ailleurs le métier d’enseignants ou de chercheurs.

« Vitrine ludique d’une métropole regardant à nouveau vers la Méditerranée », « Proue tournée vers la mer », « Montpellier sur mer », « L’Odysseum prend la mer »… Destinées à mobiliser la population locale autour du projet, ces figures métaphoriques sont forgées ou reprises par des professeurs de géographie. Or, ces derniers sont bien placés pour savoir que le nouveau centre urbain, pas plus que la construction des quartiers de Port-Marianne, ne parviendra à effacer ni la dizaine de kilomètres ni les communes [43], sans parler des étangs, qui séparent la ville du littoral. À Port Marianne, l’eau n’est présente que sous la forme d’un modeste bassin, vestige d’un projet avorté de port de plaisance relié à la mer par le fleuve. Bien que ce mince cours d’eau fût impropre à la navigation sur la partie qui mène à Montpellier [44], il fallait une fable qui fasse rêver pour « vendre » les nouveaux quartiers qui seraient édifiés à proximité, d’abord symboliquement aux Montpelliérains, et pratiquement, ensuite, aux promoteurs puis aux acquéreurs de logements. Port Marianne ne sera jamais l’« escale recherchée des navigateurs du XXIe siècle » promise par le maire à ses administrés. Mais le récit a fonctionné et le nom s’est imposé.

Au-delà de la rationalité urbanistique qui peut justifier de prolonger le développement spatial de la ville en direction de la « Grande bleue » [45], ce qui compte avant tout, c’est, comme le disent les stratèges locaux de la communication, d’« ancrer l’idée de mer dans le schéma mental montpelliérain ». Comme l’admet lui-même l’un des géographes déjà mentionnés, qui n’hésite pas, comme G. Frêche ou d’autres personnalités proches de celui-ci, à puiser dans l’histoire lointaine de la région des références plus ou moins fantaisistes pour attester la vocation maritime retrouvée de la ville, « il ne s’agit pas tant aujourd’hui d’amener physiquement la ville jusqu’à la mer. Il s’agit de la rapprocher de l’idée de la mer » [46]. Un enseignant d’histoire, que les « reconstitutions » évocatrices à propos d’un prétendu passé fluvio-portuaire de Montpellier ne pouvaient que laisser sceptique, avouera quand même être, lui aussi, séduit : « Il me plaît que cette progression vers la mer soit décrite comme une épopée » [47].


Jean-Pierre Garnier
De l’espace public à l’espace publicitaire.
Odysseum à Montpellier
L’Homme et la Société | n° 174, décembre 2009.
NOTES
[1] La citation choisie pour exergue est aussi l’intitulé d’un ouvrage, traduit en France aux éditions Maxima (Paris, 2007). Seth Godin, consultant, chef d’entreprise et agent de change est aussi un auteur étasunien dont les best sellers et les conférences sont très appréciés dans les milieux d’affaires.
[2] Henri Lefebvre, Le Droit à la ville, Anthropos 1968.
[3] Michel Peraldi (sous la dir.), « Rapport d’échange et ordre moral : l’épaisseur sociale de la grande surface : le cas de Plan de Campagne », Lames-MMSH-CNRS, 2001 ; Samuel Bordreuil (sous la dir.), Champs relationnels, champs circulatoires, “ ville émergente” et urbanité au prisme de Plan de campagne, Lames-MMSH-CNRS, 2001.
[4] Yves Chalas (sous la dir.), La Ville émergente, Dunod, 1996.
[5] Ibid.
[6] Samuel Bordreuil, op. cit.
[7] Tom Frank, One market under God : Extreme capitalism, market populism and the end on economic democracy, Doubleday, New York, 2000.
[8] Cette structure intercommunale regroupe actuellement 31 communes qui totalisent environ 400 000 habitants.
[9] La présentation, vers la fin des années 80, par la municipalité de Montpellier, de l’extension et du réaménagement de la place de la Comédie, centre traditionnel et symbolique de la ville, comme inscrites dans un processus de « théâtralisation de la vie urbaine », participait de la même stratégie de « communication ». Cette fiction pouvait d’autant mieux fonctionner que le lieu s’y prêtait en raison de son histoire, de la mémoire et des usages des habitants, et… de sa dénomination même.
[10] Ou « ludo-commercial ». Du latin lus : le jeu.
[11] Libération, 4 janvier, 2000.
[12] Enseigne : terme métonymique utilisé dans les milieux économiques et médiatiques pour désigner, à partir du sigle propre à une chaîne de distribution, les magasins où sont vendus ses produits. Ex : Mac Donald’s, Ikea, Zara…
[13] Georges Frêche, éditorial, Montpellier, votre ville, octobre 1998.
[14] Schéma d’Organisation et de Cohérence Territorial (SCOT) : document fixant les orientations principales en matière d’aménagement du territoire, d’urbanisme et de transport à l’échelle d’une communauté d’agglomération.
[15] Le tracé sud-ouest/nord de la deuxième ligne de tramway semble toutefois démentir quelque peu cette volonté.
[16] Institution représentative du département, collectivité territoriale placée entre la commune et la région dans la hiérarchie française des instances administratives élues.
[17] Cette réalisation urbanistique et architecturale, dessinée par Ricardo Bofill, a valu à Georges Frêche une réputation internationale de « maire-bâtisseur », confirmée par d’autres « grands projets » lancés par la suite.
[18] Comix-collage de Barthélémy Schwartz. À voir sur http://barthelemybs.wordpress.com/
[19] TGV : train à grande vitesse reliant les principales villes françaises.
[20] Il en résultera une série de procès, de demandes d’annulation et de recours, démêlées juridiques qui se solderont par un retard de 4 ou 5 ans par rapport au calendrier des travaux prévus.
[21] http://www.montpellier-agglo.com.fr
[22] Supplément à Montpellier, votre ville, octobre 1999.
[23] Ségécé, filiale de la société Klépierre, elle-même filiale immobilière de la BNP, 2ème propriétaire et 1er gestionnaire de centres commerciaux en Europe continentale. Et Icade-Tertial, filiale immobilière de statut privé de la Caisse des Dépôts. Celle-ci est une institution financière publique exerçant des activités d’intérêt général pour le compte de l’État et des collectivités territoriales, mais aussi, à travers ses filiales, des « activités concurrentielles ».
[24] « Résidence » : appellation valorisante donnée par les promoteurs immobiliers à un ensemble de logements conçu comme un tout cohérent et fermé sur lui-même, destiné à une clientèle aisée.
[25] Produit d’appel (ou d’attraction) : dans le jargon du marketing, cette expression désigne un produit mis en avant en raison de ses qualités (et/ou de son prix intéressant), et bénéficiant d’une opération de « communication » pour attirer le consommateur sur le lieu de vente dans l’espoir qu’il achètera également d’autres produits dont la marge, pour le distributeur, est plus rémunératrice.
[26] Comix-collage de Barthélémy Schwartz. À voir sur http://barthelemybs.wordpress.com/
[27] R. Ferras, J-P Volle, Montpellier Méditerranée, Économica, Paris, 2002.
[28] Ibid.
[29] Ibid.
[30] Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région de Paris.
[31] Sur cette vitrine européenne de l’architecture urbaine à la mode Disney, lire : Pierre Chabard, « Une souris et des hommes, L’architecture comme thème à Val d’Europe, 1987-2005 », Les Cahiers du Musée national d’art moderne, printemps 2006.
[32] Libération, 4 janvier 2000.
[33] Christian Salmon, Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, La Découverte, 2007.
[34] Ibid.
[35] Michael Sorkin (ed.), Variation on a Theme Park : The New American City and the End of Public Space, New York, 1992.
[36] Outre la référence à l’héroïne de la mythologie grecque, le maire, juriste féru d’histoire ancienne méditerranéenne, entendait marquer symboliquement par cette appellation l’opposition — anti en grec signifie « contre », « en face » — entre cet ensemble de logements sociaux à l’architecture néo-baroque et le Polygone, centre commercial « moderne » édifié par son prédécesseur.
[37] Le vocable « Corum » qui le désigne mixe plusieurs connotations : le forum romain (la fonction d’accueil des congrès d’affaires, et des symposiums et colloques scientifiques), le cœur de la ville (emplacement) et… les chœurs de l’opéra.
[38] « L’Odysseum en 8 questions », Montpellier, notre ville, octobre 1999.
[39] Ibid.
[40] Télérama, n° 2603, 1er décembre 1999.
[41] La « terminaison romaine » avait déjà été employée, comme on l’a noté, pour baptiser le nouvel opéra-palais des congrès.
[42] Midi libre, 2 août 1998.
[43] Lattes et Palavas, au sud, et Pérols et Carnon, au sud-est.
[44] De coûteux travaux de creusement, d’approfondissement et de canalisation avaient été envisagés. Mais ils ont dû rapidement céder la place des travaux d’endiguement plus urgents : sous l’effet du réchauffement de l’atmosphère, les zones littorales sont menacées d’être en partie submergées par la montée des eaux d’ici deux ou trois décennies. Ce ne serait pas Montpellier qui se serait « rapproché de la mer » mais l’inverse !
[45] Surnom populaire donné par les Français à la mer Méditerranée.
[46] Libération, 15-16 décembre 2001.
[47] Ibid.


Fonte: Laboratoire Urbanisme Insurectionnel























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